Festival de Cannes 2023 Film CLUB ZERO de Jessica Hausner

Club-Zero

« Club Zero »

Jessica Hausner

Un petit chef-d’oeuvre

« Club Zero » se déroule dans une école britannique d’élite où sept élèves, lors de la scène d’ouverture, se réunissent en cercle sous la direction de Mlle Novak (interprétée par Mia Wasikowska), la nouvelle professeure de nutrition de l’école. Chacun des élèves exprime sa motivation pour adopter une alimentation plus saine, que ce soit pour préserver la planète, perdre du poids, éliminer les graisses corporelles ou lutter contre la dépendance à la malbouffe.

Mlle Novak les initie à l’alimentation « consciente », une approche opposée à l’alimentation inconsciente, où l’on se rue sur tout ce qui est délicieux et en quantité illimitée. L’alimentation consciente, quant à elle, est saine, disciplinée et surtout réfléchie. Chaque bouchée doit être bénéfique pour soi-même, et cela implique de manger moins. Mlle Novak souligne que nous mangeons tous trop et que, en ce qui concerne notre rapport à la nourriture, moins peut être plus.

Ces réflexions résonnent chez beaucoup d’entre nous. Cependant, alors que les élèves sont assis à la cafétéria, examinant scrupuleusement la nourriture sur leurs plateaux compartimentés, tenant chaque bouchée en l’air sur leur fourchette pour une délibération appropriée avant de la porter à leur bouche, ils sont conditionnés par Mlle Novak à devenir des maniaques du contrôle alimentaire. Ils commencent déjà à transformer leur alimentation en un rituel de vertu et à se méfier de la nourriture en tant que source de plaisir. En somme, ils apprennent à devenir anorexiques. Dans ce film, l’anorexie est institutionnalisée, enseignée comme une discipline de maîtrise de soi, une supériorité éthique et une ferveur religieuse. Le plaisir de manger est remplacé, pour eux, par le plaisir de l’abstinence. Et ce n’est que le début pour Mlle Novak.

Hausner, qui a co-écrit le film avec Géraldine Bajard, aborde quelque chose de plus profond que la simple alimentation. Mia Wasikowska incarne Mlle Novak avec la bienveillance coercitive imperturbable d’une gourou de la Nouvelle Ère, et le film utilise sa présence insidieuse ainsi que la réaction des étudiants pour suggérer l’émergence d’un nouvel état d’esprit qui se répand dans la culture. Il s’agit de lutter contre une vision apocalyptique de l’avenir : l’épuisement des ressources et la destruction de la Terre. La conception du film est à la fois déchirante et drôlement sincère.

« Club Zero » aborde également le problème des enfants éloignés de leurs parents en raison des mauvaises idées inculquées par leur éducation. Les sept élèves de la classe de Mlle Novak réagissent différemment à son idéologie. Pour Ragna (Florence Baker), une gymnaste en trampoline qui entretient déjà des relations tendues avec ses parents, le dogme de manger moins résonne immédiatement. Fred (Luke Barker), un danseur de ballet non binaire, diabétique, trouve attirante l’idée que l’abstinence puisse lui permettre de se passer d’insuline. En revanche, Ben (Samuel D. Anderson), dont la mère anglaise célibataire (Amanda Lawrence) aime lui préparer de copieux repas, se sent menacé par la rupture de ce lien et résiste donc. C’est pourquoi Mlle Novak pousse les autres élèves à le pousser, en exploitant le fait qu’il est amoureux d’une des filles.

Dans « Club Zero », Jessica Hausner, originaire d’Autriche (c’est son deuxième film en anglais), plonge avec habileté et audace dans la mentalité d’une secte. Au fur et à mesure que les élèves se laissent séduire, Mlle Novak les initie à un niveau supérieur de pureté. Cela s’appelle le Club Zero, une manière radicale de vivre où l’on réalise que l’on n’a pas besoin de manger du tout.

Ce film est le plus original du 76ème festival de Cannes et est réalisé avec brio. Ce petit chef-d’œuvre se démarque par son absence de récompense.

Bigna Margaretha Grieder