La Chine membre du Conseil des droits de l’homme de l’Onu : la corde soutient le pendu

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Persécution pratiquée par la Chine

INCROYABLE MAIS VRAI

La Chine, élue membre du  Conseil des droits de l’homme de l’Onu,  » chargée d’enquêter sur les libertés de religion et d’expression » .

Chronique d’été. Rubrique Entretien. ACJD

Entretien avec Marie Holzman, présidente de l’association Solidarité Chine. Sinologue, professeur de chinois à Paris VII, traductrice, biographe de nombreux dissidents chinois, elle œuvre, confit-elle, afin « de faire entendre la voix de ceux qui adoptent une démarche pro-démocratie, pacifique et rationnelle, pour que l’Occident comprenne que les Chinois ne sont pas tous fascinés par le business ou la falsification des œuvres d’art ».

Propos recueillis par Bernard Debord

La Chine vient d’intégrer le groupe consultatif du Conseil des droits de l’homme de l’Onu chargé d’enquêter sur des violations spécifiques comme les libertés de religion et d’expression. N’est-ce pas inimaginable ?

 Marie Holzman: Oui et non. Inimaginable vue la façon dont ces libertés sont traitées en Chine, ne serait-ce qu’au regard de la situation des Tibétains ou des Ouïgours du Xinjiang qui ont été les cobayes de la surveillance numérique déployée depuis dans toute la Chine. Devenus minoritaires chez eux, ils ont été transformés en citoyens de seconde zone. Inimaginable aussi si l’on se réfère à l’isolement de la Chine de l’après Tiananmen. Je me souviens, au début des années 1990, des chantiers de Pékin à l’arrêt, de la commémoration annuelle du massacre à travers le monde et du respect des droits de l’homme exigé par Bill Clinton pour définir les échanges commerciaux. À l’époque, nous, défenseurs des droits humains, faisions le siège du Conseil à Genève pour présenter nos doléances. Mais c’était un monde où les intérêts économiques ne primaient pas encore sur tout. Depuis, les partisans de l’ouverture au marché chinois et de la délocalisation des industries vers la production à bas coût de la Chine l’ont emporté. L’admission de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001 a marqué le début de la fin. Pékin a noué des alliances avec des pays autoritaires et a réussi à neutraliser les votes hostiles dans les institutions internationales, dont le Conseil des droits de l’homme. Si bien qu’aux alentours de 2005, de nombreux défenseurs ont renoncé à intervenir auprès de cette institution, considérant que les dés étaient pipés. Alors, aujourd’hui, le fait que la Chine entre dans une instance importante du Conseil apparaît comme inéluctable, à défaut d’être moral. C’est le fruit d’un glissement progressif des pays démocratiques qui ont accepté de fermer les yeux sur les violations des droits humains au nom du business.

 

La Chine peut ainsi désormais poser son système politique et social en modèle, avec une certaine force de persuasion…

On pouvait dire cela jusqu’en novembre 2019, mais le coronavirus a changé la donne. Certes, ses techniques de surveillance et de contrôle social peuvent intéresser certains pays, mais, de fait, cette crise a affaibli la crédibilité de la Chine. De nombreux spécialistes estiment que si les dirigeants chinois avaient communiqué dès le début, on aurait pu éviter 95 % des contaminations dans le monde. Cette pensée me plonge dans une colère terrible, parce que la Chine a l’habitude des pandémies. Il y a eu la grippe aviaire, mais surtout le Sras [syndrome respiratoire aigu sévère, ndlr], déclenché en novembre 2002, et que les Chinois ont caché jusqu’en avril 2003. C’était un terrible avertissement de ce qui pouvait arriver, or il faut souligner que les pays voisins également touchés par le Sras, comme la Corée du Sud ou Taïwan, étaient prêts. La Chine est impardonnable, elle avait tous les éléments pour arrêter l’épidémie dès le 1er janvier. Alors, l’arrogance avec laquelle elle brandit ses masques pour se poser en sauveur du monde et sa façon de vanter son système agacent beaucoup. Désormais, quels sont ses alliés inconditionnels ? La Serbie, le Cambodge, le Pakistan… Que des pays de faible poids international ! Les confrontations avec le Vietnam et les Philippines, les problèmes avec Hong-Kong et Taïwan, les tensions avec le Japon et les États-Unis, les protestations des pays africains suite à de récents affrontements racistes au Guangdong [province côtière du Sud-Est chinois, ndlr], tout ça fait que la situation internationale de la Chine n’est pas très paisible. Si un processus de relocalisation diminuant la dépendance du monde venait s’ajouter, la donne pourrait changer. On est à un tournant géopolitique.

 

Au début de la pandémie à Wuhan, c’est essentiellement par des sources chinoises non officielles que le monde a été informé de la situation. Mais depuis plus rien. Que s’est-il passé ?

On a découvert de simples citoyens prêts à mourir pour la vérité, qui se sont mués en reporters de la situation. Ils ont réussi à publier des vidéos terrifiantes pendant environ quinze jours. Fang Bin, un homme d’affaires, a posté sa première vidéo le 25 janvier pour documenter l’afflux dans les hôpitaux et le chaos qui y régnait. L’avocat Chen Qiushi, d’un courage exemplaire, a été l’un des premiers à témoigner en filmant avec son portable à la porte des hôpitaux et dans les rues désertes de la mégapole. Tous deux ont disparu, tout comme Li Zehua, arrêté pendant qu’il filmait. J’ai vu quasiment en direct la panique dans les hôpitaux, des infirmières qui craquaient, un médecin qui perdait toute maîtrise, hurlant « Envoyez-moi quelqu’un pour débarrasser les morts des couloirs du service ! ». On n’aurait jamais su cela sans le travail de ces journalistes. Citons également Caixin, le magazine en ligne de la journaliste Hu Shuli, dont les photos de la distribution des urnes avant la Fête des Morts ont permis de déduire qu’il y avait eu des dizaines de milliers de morts à Wuhan. L’essentiel de l’information sur la pandémie vient de Caixin et de Ai Fen, la médecin-chef des urgences de l’hôpital central de Wuhan, qui avait alerté, dès décembre, sur la dangerosité du virus, puis dénoncé les pressions exercées pour la faire taire. Elle aussi est introuvable. A-t-elle été arrêtée, est-elle morte du Covid-19 ? On l’ignore.

Ce qu’on sait par l’entremise de ces citoyens journalistes est sans doute bien peu à en croire Hu Shuli, qui a avoué ne pouvoir publier qu’à peine un tiers des informations en sa possession. Cela laisse imaginer l’ampleur de ce qui s’est passé. C’est là le problème : on peut seulement l’imaginer ! On finira bien par savoir la vérité, mais dans un jour sans doute lointain, car le récit de la pandémie est en train d’être écrit par la propagande. En aucun cas à partir de témoignages authentiques.

 

De l’étranger, on perçoit cette récriture de l’histoire. Mais qu’en est-il en Chine même. Que savent les Chinois ?

Difficile à dire. Bon nombre de journalistes étrangers ont été expulsés et encore plus de journalistes chinois emprisonnés, le dernier en date, Chen Jieren vient d’être condamné à quinze ans de prison ! Observer la situation sur le terrain est donc difficile. On ignore ce que peuvent penser des centaines de millions de paysans et de migrants. Par contre, en ville les réseaux sont souvent dominés par des petits voyous qui couvrent la Toile de : « Les Japonais, on va les niquer! Les Taïwanais, on va régler leur compte ! Les Russes, on va récupérer les territoires qu’ils nous ont volés ! » avec un vocabulaire d’une vulgarité phénoménale. Ceux-là colportent la propagande officielle sur « le monde sauvé grâce à la supériorité de notre système » avec une certaine efficacité. D’autant que les autres internautes n’osent pas s’exprimer par peur de perte de « crédit social », ce système orwellien de surveillance des moindres faits et gestes en train de se généraliser. Une vue superficielle des réseaux pourrait donc faire croire que toute la Chine est devenue hyper nationaliste et en phase avec le président Xi Jinping. J’en doute. Je pense que les silencieux sont majoritaires. Quant à la petite minorité qui a le courage de s’exprimer, elle se heurte à la répression.

 

Le régime a toujours eu ses dissidents. Parviennent-ils encore à se faire entendre, voire à s’organiser ?

Il y a encore de très grandes et belles voix. Deux d’entre elles se sont exprimées début 2020. Celle de l’universitaire Xu Zhiyong qui a écrit plusieurs tribunes pour démasquer la stupidité du régime. Et celle de l’écrivain Ren Zhiqiang qui a traité Xi Jinping de « clown ». Ils ont été arrêtés. Ce sont les plus beaux symboles actuels de liberté de pensée, et je pense qu’ils ne réapparaîtront pas de sitôt. Il y a aussi Gao Zhisheng, l’avocat des droits humains, qui a récemment « disparu ». Mais de façon générale, l’omniprésence des organes répressifs est devenue telle que « s’organiser » est une gageure. Si sur un groupe WeChat vous utilisez le mot « coronavirus », votre groupe explose ; idem si vous mettez « Xi Jinping » ; « À bas le parti communiste », dans la demi-heure les flics débarquent. Donc la notion d’organisation, c’est fini. Quelques voix se font entendre encore faiblement, la célèbre journaliste Gao Yu tweete un peu, l’écrivain Yan Lianke s’est plaint récemment de la « difficulté d’écrire », mais c’est plutôt le renoncement, la démoralisation qui domine.

 

Alors, si tout est sous contrôle et que même la dissidence s’étiole, en quoi peut-on garder un espoir de changement ?

On peut peut-être espérer que le cumul des pouvoirs par Xi Jinping et la présidence à vie qu’il s’est attribuée lui attirent des oppositions. Une rumeur veut que Hu Shuli, la directrice de Caixin, soit soutenue par le très influent vice-président de la République Wang Qishan. Si c’est le cas, c’est qu’il existe un petit contre-pouvoir. Et puis surtout, beaucoup de Chinois sont exaspérés par cette omnipotence et même humiliés de voir l’image agressive que donne la Chine quand ses ambassadeurs insultent les pays où ils officient. Ils ressentent une perte de dignité, une perte de face. Or, dans la culture de la Chine, rien n’importe plus que la face. Alors…

 

 

 

 

 

 

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